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(2ème Partie) DIFFERENCE DE L'ALLIANCE DES ETATS DU SAHEL AVEC LES AUTRES ALLIANCES POLITIQUES DE L'AFRIQUE CONTEMPORAINE

(2ème Partie) DIFFERENCE DE L'ALLIANCE DES ETATS DU SAHEL AVEC LES AUTRES ALLIANCES POLITIQUES DE L'AFRIQUE CONTEMPORAINE

I

Différences essentielles entre l’AES et les autres alliances politiques africaines contemporaines

 

L’Afrique contemporaine, ce n’est un secret pour personne d’informé, est couverte de nombreuses alliances politiques, se recoupant pour l’essentiel avec ses principales régions continentales. Cependant, c’est le mythe de l’Argent-Roi qui a présidé à leur naissance et cela n’est pas sans conséquence, comme on le verra. Ce qui les caractérise presque toutes, c’est d’avoir été bâties à l’origine dans un but principalement économique et secondairement politique. S’inspirant de la tradition productiviste néolibérale mais aussi socialiste issue de l’histoire politique occidentale, les fondateurs de la plupart des alliances politiques africaines ont considéré que la voie la plus sûre vers l’intégration politique continentale, c’est d’abord l’intégration socioéconomique. C’est dans cet esprit que furent créées les Communautés Economiques Régionales Africaines aujourd’hui reconnues par l’Union Africaine : l’Union du Maghreb Arabe (UMA) ; le Marché Commun de l’Afrique Orientale et Australe (COMESA) ; la Communauté des Etats Sahélo-Sahariens (CEN-SAD ; la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) ; la Communauté des Etats d’Afrique Centrale (CEEAC) ; la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ; l’Autorité Intergouvernementale sur le Développement (IGAD) ; la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC).

 

  D’une certaine façon en réalité, les pères fondateurs des huit principales CER (Communautés Economiques Régionales) de l’Union Africaine avaient donc adopté la posture défendue par le philosophe français Montesquieu, pour qui le commerce est la garantie de la paix entre les nations du monde. Citons-en un large extrait, afin de comprendre à travers la théorie du doux commerce de Montesquieu, les arrières-pensées des défenseurs de la primauté de l’économique sur le politique :

« Le commerce guérit des préjugés destructeurs et c’est presque une règle générale que, partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce; et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces.

 

Qu’on ne s’étonne donc point si nos mœurs sont moins féroces qu’elles ne l’étaient autrefois. Le commerce a fait que la connaissance des mœurs de toutes les nations a pénétré partout: on les a comparées entre elles, et il en a résulté de grands biens.

 

On peut dire que les lois du commerce perfectionnent les mœurs, par la même raison que ces mêmes lois perdent les mœurs. Le commerce corrompt les mœurs pures  : c’était le sujet des plaintes de Platon; il polit et adoucit les mœurs barbares, comme nous le voyons tous les jours.

 

L’effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes: si l’une a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre; et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels.

 

Mais, si l’esprit de commerce unit les nations, il n’unit pas de même les particuliers. Nous voyons que, dans les pays où l’on n’est affecté que de l’esprit de commerce, on trafique de toutes les actions humaines, et de toutes les vertus morales: les plus petites choses, celles que l’humanité demande, s’y font ou s’y donnent pour de l’argent.

 

L’esprit de commerce produit dans les hommes un certain sentiment de justice exacte, opposé d’un côté au brigandage, et de l’autre à ces vertus morales qui font qu’on ne discute pas toujours ses intérêts avec rigidité, et qu’on peut les négliger pour ceux des autres.

 

La privation totale du commerce produit au contraire le brigandage, qu’Aristote met au nombre des manières d’acquérir. L’esprit n’en est point opposé à de certaines vertus morales: par exemple, l’hospitalité, très rare dans les pays de commerce, se trouve admirablement parmi les peuples brigands ».[1]

 

Cette vision idéalisée du commerce comme force de paix entre les nations correspond-elle toutefois à l’expérience commerciale de l’Afrique des six derniers siècles ? Aucunement. Car c’est précisément parce que dès le 16ème siècle occidental, des puissances en quête de matières premières et d’accumulation primordiale déclassèrent les hommes et les femmes de peau noire du statut d’êtres humains à celui de marchandise, de « bois d’ébène », que l’Afrique fut marginalisée dans la géoéconomie de cette époque à nos jours. En commercialisant des Africains, en colonisant l’Afrique et en la maintenant sous la domination des puissances néocolonialistes et impérialistes d’Occident et d’Orient, on a renié par la terreur négrière, coloniale, néocoloniale et impérialiste, le mythe du doux commerce. De la Traite Négrière à la Mondialisation ultralibérale actuelle avec l’esclavage de peuples entiers du continent noir sous des dettes publiques artificiellement gonflées, où l’Afrique ploie sous les fourches caudines du FMI, de la Banque Mondiale, des Banques Centrales Américaine, Européenne, Française - pour ne citer que celles-là -, du déséquilibre structurel des échanges et de la voracité des multinationales occidentales et orientales, le commerce international se donne à voir et à vivre en Afrique comme la guerre poursuivie par d’autres moyens.

 

Mieux, derrière cette théorie du doux commerce de Montesquieu, se cache aussi l’idée que les intérêts économiques priment sur tous les autres aspects de l’existence humaine. Derrière le mythe du doux commerce, se cache l’affirmation fatale du primat de la matière sur l’esprit, qui est aux antipodes de la vision traditionnelle africaine, selon laquelle les valeurs spirituelles de Vérité, de Justice et de Solidarité, résumées dans l’immémorial concept négro-égyptien de Mâât, priment sur les valeurs matérielles :

« En tant que principe d'ordre, la maât est un principe de vie ; en tant que principe de vie, elle est un principe de vérité ; et en tant que principe de vérité elle est un principe de justice – une justice à la fois cosmique, sociale et individuelle »[2]

 

Quand on lit donc sur le site de l’Union Africaine que « Les Communautés Economiques Régionales (CER) ont pour but de faciliter l’intégration économique régionale entre les membres de chacune des régions au sein de la grande Communauté Economique Africaine (CEA), créée dans le cadre du traité d’Abuja (1991) »[3], on voit l’arrière-plan théorique des organisations politiques africaines se dévoiler pleinement. Les institutions politiques africaines issues du processus négrier-colonial-impérialiste, sont guidées par le mythe de l’Argent-Roi, par l’idée que seuls les intérêts matériels soudent durablement les relations humaines, tant sur les plan individuel, collectif qu’international.

 

C’est précisément sur le point essentiel que l’Alliance des Etats du Sahel (AES), créée en 2023, est en rupture ontologique et spirituelle avec les alliances politiques africaines issues de la vision du doux commerce et de l’Argent-Roi.  La plus ancienne et plus puissante intuition morale fondatrice de l’ordre politique en Afrique noire ne privilégie par l’argent par rapport aux gens, mais les valeurs primordiales de Vérité (quête de la haute science), de Justice (quête d’harmonie en l’homme, dans la société et entre l’humanité et les autres sociétés cosmiques), et de Solidarité (protection réciproque contre les vulnérabilités naturelles, politiques et socioéconomiques).  Voilà pourquoi le texte fondateur de l’AES remet en cause le primat de l’économique et pose en avant le primat de la souveraineté, de la dignité et de l’émancipation humaines sur les richesses économiques du commerce. La Charte de l’AES affirme que ses signataires sont « Convaincus de la nécessité de poursuivre les luttes héroïques, menées par les peuples africains pour l’indépendance politique, la dignité humaine et l’émancipation économique ».[4]

La volonté politique des Etats de l’AES est celle d’hommes et de femmes « Guidés par l’esprit de fraternité, de solidarité et d’amitié »[5] et non par les merveilles fictives du doux commerce. L’article 2 de la Charte de l’AES est formel quant à la suprématie de l’esprit de justice, de vérité et de solidarité sur les intérêts économiques passagers liés aux richesses de la terre :« L’objectif visé par la charte est d’établir une architecture de défense collective et d’assistance mutuelle aux parties contractantes ».[6]

Une double trilogie de valeurs spirituelles de l’AES émerge donc face au principe matérialiste du primat de l’Argent-Roi qui gouverne les CER de l’Union Africaine. Souveraineté, Dignité, Emancipation ; Fraternité, Solidarité, Amitié, telles sont les valeurs-guides du nouvel ordre politique africain impulsé par l’AES.  On a bien compris qu’il s’agit bel et bien de briser la domination négrière, colonialiste, néocolonialiste, impérialiste et despotique imposée à l’Afrique depuis six siècles par les grandes puissances occidentales et orientales, mais aussi leurs suppôts locaux, tels les dictateurs invétérés de la Françafrique. L’article 7 de la Charte de l’AES affirme clairement qu’elle est prête à affronter toutes les forces extérieures au territoire de l’Alliance, y compris celles, étrangères à l’Afrique, qui campent dans des territoires environnants de celui de l’AES. C’est dire la vocation essentiellement anticolonialiste et anti-impérialiste de l’AES, qui assume ainsi toute la dure réalité géopolitique de l’Afrique aliénée par l’Occident et l’Orient depuis de trop nombreux siècles.

L’Alliance des Etats du Sahel se distingue donc radicalement des autres alliances politiques africaines issues de l’histoire de l’expansionnisme occidental et oriental en ceci qu’elle affirme la suprématie de l’esprit sur la matière, de la Tradition Africaine sur le Commerce. Elle pose les valeurs de souveraineté, de dignité, d’émancipation, de fraternité, de solidarité et amitié au-dessus des pouvoirs du mercantilisme. L’AES est une alliance d’inspiration mââtocratique. Elle puise dans les valeurs sociétales les plus justes, les plus anciennes et les plus puissantes de l’humanité africaine immémoriale. L’AES revendique une Afrique délivrée des puissances terroristes du racisme négrier, de la barbarie colonialiste et impérialiste, mais aussi du despotisme des vassaux de l’ordre ultralibéral en Afrique. Aux antipodes de l’organisation sous influence étrangère de la CEDEAO, qui se fait financer comme l’UA et bien des organisations du continent africain par des fonds étrangers à l’Afrique et ainsi contrôler par des puissances étrangères, l’AES s’autofinance (Article 10 de la Charte)  et s’autodétermine comme l’embryon d’un Etat Fédéral Sous-Régional Ouest Africain qui peut servir de modèle au futur Etat Fédéral Continental rêvé par les pères fondateurs de l’idéologie panafricaniste.

 

 

 

 

 

[1] Montesquieu, De l’esprit des Lois, IV, XX, 1 et 2.

 

[2] Laurent de Sutter, Après la loi, Chapitre 9 « Mâât », Paris, P.U.F., 2019, p.272

[5] Charte de l’AES, idem. op.cit.

[6] Idem, op.cit.

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